Pour expliquer simplement l’amnésie traumatique dans le cadre des violences sexuelles :

Lors d’une agression sexuelle, le stress généré est énorme et l’organisme ne peut pas le gérer. Afin d’éviter un risque mortel, le cerveau peut dans certains cas disjoncter et le vécu n’est alors plus mis en mémoire. Les souvenirs se retrouvent alors non intégrés, comme gelés et inaccessibles pour la personne, parfois durant des années. Chez certaines personnes ces souvenirs reviennent en totalité, chez d’autres ils ne reviennent qu’en partie, et parfois pour certains ils ne vont jamais réémerger. C’est cela l’amnésie traumatique.

Pour aller plus loin:

Par Hélène Romano – Extrait : Amnésie Traumatique – Des vies de l’ombre à la lumière.

En situation de stress adapté

Le stress est souvent perçu comme négatif, mais « à petites doses » il permet à l’organisme de se protéger. Le cerveau réagit alors de façon cohérente et efficace. C’est une réaction dite « adaptée », car les mécanismes mobilisés dans ce type de stress sont salvateurs pour l’individu, puisqu’ils lui permettent de concentrer toute son énergie vitale pour réagir de façon à se protéger, à avoir des attitudes justes qui l’amène à ne pas se surexposer à la situation difficile ou au danger. Tout l’organisme et en particulier le système nerveux central est mobilisé pour assurer le bon fonctionnement cardiovasculaire et neurologique et la survie de l’individu. Dans ces situations, les représentations mentales acquises par l’individu sont opérantes et lui permettent de s’apaiser en donnant sens à ce qu’il vit. […]

En situation de stress dépassé

Le stress dépassé arrive face à une situation d’une extrême violence qui ne permet pas à la personne d’anticiper.
On parle alors de stress aigu. Dans ces cas-là, plus rien ne fonctionne de façon cohérente. Si la situation est trop stressante ou si le contexte stressant dure trop longtemps et devient chronique, comme dans le cas d’agressions répétées, le risque est que le cerveau ne parvienne pas à assimiler toutes les informations, ce qui se traduit par un stress dépassé, car le cortex préfrontal n’est plus en mesure d’intervenir pour évaluer correctement le danger. Ce sont des situations où le pronostic vital peut être engagé, car la personne n’étant plus en capacité de gérer ce qu’elle fait, elle peut bien involontairement se mettre en danger, par exemple en fuyant de façon panique sans faire attention à l’environnement, ou en étant incapable de hurler alors qu’elle est agressée. La fuite panique, l’état de conduites automatiques (continuer de faire des choses, comme s’il ne s’était rien passé), l’inhibition stuporeuse (ou sidération qui fait que la personne reste comme paralysée) sont autant de réactions possibles qui font que contrairement au stress adapté, la victime ne peut pas se protéger, ni appeler à l’aide. C’est aussi une situation à risque pour l’organisme, car le système nerveux dysfonctionne totalement et sécrète de façon totalement inadaptée les neuromédiateurs. L’organisme peut réagir comme le ferait un ordinateur central en situation de survoltage par un court-circuitage général ayant pour objectif de protéger les organes vitaux. La modulation de l’amygdale est inefficace, car il n’y a pas de possibilité de mobiliser l’hippocampe et sa capacité à faire référence aux souvenirs et expériences vécues pour comprendre ce qui est subi.

Comme l’individu n’arrive pas à penser le danger et à le contrôler, l’amygdale au lieu de s’apaiser, continue donc de s’activer et maintient une réponse émotionnelle maximale. Il y a toujours une production intense de cortisol, car l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) continue d’être stimulé. L’adrénaline se trouve elle aussi toujours surproduite, car le système nerveux autonome (SNA) sympathique reste en alerte.

Ces taux élevés de cortisol et d’adrénaline peuvent devenir extrêmes et dangereux pour l’individu (par exemple avec des risques d’infarctus du myocarde) ; atteinte des cellules nerveuses avec risque de mort neuronale par apoptose ; possible atteinte de l’ensemble du système immunitaire (ce qui peut conduire au déclenchement de maladies immunitaires suite à un stress intense ou à une accumulation de stress qui a épuisé l’organisme et qui ne parvient plus à mobiliser les défenses immunitaires nécessaires pour se protéger. Ce qui permet de comprendre que beaucoup de victimes d’événement(s) traumatiques(s), développent des maladies immunitaires dans les suites de ce qu’elles ont subi). La suractivation de l’amygdale est trop importante pour que l’hippocampe et le cortex cérébral parviennent à l’apaiser. Cette disjonction se traduit via le système limbique en particulier par la production de neuromédiateurs tels que les endorphines (morphines endogènes sécrétées par l’hypophyse et la substance grise péri-aqueducale), et des antagonistes des récepteurs NMDA (N-Méthyl-D-Aspartate) du système glutamatergique. Cela conduit à un arrêt brutal du fonctionnement de l’amygdale qui se trouve déconnectée du cortex associatif et de l’hippocampe. Elle ne reçoit plus les informations émotionnelles qui continuent d’arriver via le thalamus au cortex sensoriel et qui se trouvent traitées directement par le cortex associatif, mais sans leur dimension émotionnelle.

Ce processus a juste dans l’immédiat un avantage, c’est qu’il permet à l’organisme de ne rien ressentir (ni physiquement ni psychiquement), comme s’il était anesthésié. C’est ce qui explique que les personnes en état de stress dépassé apparaissent « étranges » aux autres comme si elles ne ressentaient rien et étaient spectatrices de leur vie. C’est donc cette déconnexion de l’amygdale, cette mémoire piégée dans l’amygdale et sans élaboration possible et toutes ses conséquences qui sont à l’origine de l’amnésie
traumatique. Il n’y a aucune mise en mémoire possible.