Je m’appelle Christelle. J’ai 37 ans. 
 
 
 Il y a une grosse année et demi d’ici, j’ai commencé à avoir de grosses insomnies, des flambées d’eczéma, des pleurs avant d’aller au travail, puis pendant. De plus en plus régulièrement puis tous les jours. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. 
 
 Puis j’ai commencé un suivi en art thérapie. Je sentais que j’avais quelque chose à travailler autour de la colère, que je ne ressentais jamais. 
 Dès la première séance, j’ai commencé à avoir de grosses angoisses, à énormément écrire et produire des choses (dessins, collages, peintures etc…) qui ont très vite fait lien avec un vécu de violence sexuelle, complètement incompréhensible pour moi. 

J’étais persuadée de n’avoir jamais rien vécu. J’ai toujours trouvé que ma vie était très “lisse” d’ailleurs. J’ai été une “gentille” petite fille et adolescente, assez calme, conforme, bonne élève. Une adulte plutôt responsable, avec une vie très classique. Un côté toujours (trop) “bien comme il faut”. 
 

Durant les premiers mois de mon suivi, une première situation de violence sexuelle se précise. Lors d’un camp aux mouvements de jeunesse. Les angoisses se calment quand je mets le doigt dessus. 

Puis je l’ai rangée de côté. Ça a semblé n’être juste qu’un rêve. Un truc lointain que je me suis dit que j’avais “peut-être” vécu. 
 Le “peut-être” a tiré avec lui par la suite la file des “je suis complètement folle”, “je m’invente tout”, “ça n’a aucun sens” etc…, qui ont co-existés avec un épisode dépressif. Et qui reviennent régulièrement de manière cyclique. 
 J’ai écouté des podcasts, lu des livres, pris des infos… Pour comprendre, chercher une légitimité à mon vécu. Ça me rassurait de voir que d’autres gens se sentaient tout aussi fous que moi dans ce processus. 
 Mais beaucoup de professionnels parlaient de symptômes de mise en danger (personnelle ou relationnelle) qui avaient lieu, ce qui n’était pas mon cas.  Ou d’autres symptômes dans lesquels je ne me retrouvais pas, ou de manière minime. Cela renforçait mes doutes de légitimité, parce que je trouvais qu’en comparaison avec ce que je lisais, mes symptômes à moi étaient bien trop petits. 

Les seuls que je pouvais pointer sont mes importantes allergies depuis petite. Mais plein de gens en ont sans avoir vécu d’abus.
 Et un épisode de plusieurs années de boulimie qui commence à mon entrée aux études supérieures, où je me sentais sale et durant lequel mon corps me dégoûtait. Je faisais tout pour repousser la moindre relation. C’est le seul symptôme qui faisait un peu sens. 


 Bien après, j’ai fait le lien avec des angoisses vécues quand mon enfant était bébé, que j’ai extrêmement mal vécues. On m’a expliqué que c’était des phobies d’impulsion.  
 Puis le lien avec mon peu de souvenir de l’enfance, ce que je pensais être une norme pour tout le monde. Puis avec un blocage dans la sphère intime, dont je n’avais pas conscience auparavant. 
 Et avec mon vécu professionnel. Où je semble bien “réussir” dans les apparences mais en ayant depuis très longtemps la sensation de construire sur du sable et de ne rien savoir. De n’avoir aucune compétence. D’être nulle au point de me paralyser ou de me boycotter dans certaines situations. De sentir que je n’ai rien à apporter au monde, alors que j’ai tant envie de contribuer à quelque chose de plus grand que moi. 
 Avec mon hyperadaptation à l’extérieur, parce qu’en moi, “ je ne sais pas”. Il y a du vide.
 Lien fait aussi par un thérapeute en Somatic Experiencing (SE) avec qui je complète mon suivi, qui me dit que je fonctionne en “surcouplage”. En hyperactivation permanente de mon système nerveux, pour éviter de sentir quelque chose de ce vide. Mon cerveau fonctionne à 10 mille à l’heure, je parle vite, je me gratte ou chipote presque sans arrêt quelque part, je me jette dans les créations thérapeutiques de manière compulsive… 

8 mois après le début du suivi, je recommence de grosses angoisses. Je n’en peux plus. J’ai l’impression de passer non stop à la lessiveuse tous les jours pendant 2 mois. Je sens que quelque chose “pousse” pour sortir. J’ai peur d’une décompensation, de me retrouver en psychiatrie. 
 Deux autres situations d’abus apparaissent coup sur coup. 
 Une d’attouchement de mon grand père. 
 Et une troisième. Je crois que ça a été la première des trois. Et la plus dévastatrice. C’est celle sur laquelle je produis le plus de choses depuis le début, et avec le plus d’angoisse. Celle que je ne peux pas encore nommer.
 Et dans le lot, arrive un flash concernant l’abus des mouvements de jeunesse. Une image floue, des rires et des mots que j’entends. Mes parents me disent avoir toujours pensé qu’il s’était passé quelque chose de pas normal à ce camp. Mon père me dit avoir essayé de savoir à l’époque, et s’être senti face à un mur. S’être senti en colère. 
 Je sens finalement que “tout est sorti”. Les angoisses s’apaisent de nouveau. 
 Avec ce flash, les coïncidences avec ce que me disent mes parents, et le travail qui se poursuit, quelque chose s’ancre plus en moi. Je commence à me dire à moi-même plus affirmativement que j’ai été abusée. 

Je pensais que ce pas amènerait une amélioration significative de mon vécu au quotidien.


 Sauf que maintenant j’ai compris que ça ne suffit pas.  
 Un chemin s’est fait, mais encore très mental. Je pense qu’il doit se continuer dans le corps, dans les émotions.
 
 Lors de mes cours de yoga et des séances de SE, je commence à sentir différemment mon corps et ses blocages. A m’effondrer en les sentant. En voyant que je ne sentais pas. Que je ne peux pas encore tout sentir. En sentant que je ne veux pas sentir.
 En art thérapie je touche aux impacts psychologiques et émotionnels des abus. Notamment au morcellement psychique. Je le vois dans mes productions. Je ne le sens pas. Ça me fait peur d’avoir vécu ça. 

Actuellement, après des moments très durs, j’ai des phases où ça va mieux. Comme si je récupérais de l’énergie…pour aller retravailler une autre couche plus profonde. Avec un mélange d’angoisse, d’états dépressifs et de symptômes somatiques suivant les moments. 
 Je trouve que ça aide de comprendre comment le processus se passe. Et c’est déstabilisant aussi qu’il ne soit pas linéaire.
 

Ca fait un peu plus d’un an que je suis arrêtée au travail. C’est juste, parce que je ne saurais pas faire autrement. C’est en effet insupportable de devoir me “couper” psychiquement de ce qui se passe en moi pour pouvoir fonctionner professionnellement. Quelque chose en moi ne veut plus “fonctionner”. Je veux vivre. 
 Mais c’est long aussi, parce que la sphère professionnelle a beaucoup d’importance dans ma vie. Je voudrais me sentir revenir à une normalité, même si c’est une normalité différente d’avant. 

J’ai eu souvent envie de trouver LE truc pour faire accélérer le processus. LA technique thérapeutique qui résoudrait ça plus vite. Je me suis mille fois demandée ce que je faisais “mal” ou quel était mon problème pour que ça prenne autant de temps. 
 J’ai choisi l’art thérapie (avec la SE en plus, plus récemment). J’ai une thérapeute qui m’accompagne avec énormément de justesse. J’ai besoin de pouvoir faire confiance dans l’idée que c’est moi qui sais ce qui est juste pour moi. Qu’enfin je peux arrêter de me dire que les autres savent mieux. Que mon ressenti est le bon sur la manière dont je choisis de traverser cela. 
 Il y a un “Je” quelque part qui lutte pour exister. Aussi dans le choix de la forme de thérapie. Et c’est ok que ça prenne du temps. Et peut-être que ça fait partie du processus d’accepter la douceur et la lenteur, là où j’ai l’habitude d’y aller au forcing avec moi même. 
 

J’en ai encore peu parlé autour de moi. Les gens ne sont pas obligés de savoir. 
 Mais je sens maintenant l’importance de dire.

Comme si la parole faisait exister ce qui autrement n’existe que dans ma tête. Et c’est important. Ça aide à se sentir moins fou. 
 Peut-être que la parole amoindri aussi l’existence de ce fantôme que je sens entre moi et les autres, qui me fait me sentir différente, séparée.  Et j’ai besoin de me sentir en lien. Quand je peux. 
 Comme si peut-être parler permettait également une forme de reconnaissance que l’amnésie donne difficilement. De permettre le passage par le statut de victime dans le regard des autres à défaut de celui de la justice. Comme une étape pour pouvoir évoluer vers une reprise de mon pouvoir personnel et être pleinement actrice de ma vie. 


 Parce que c’est ça au final que je veux. Être juste pleinement en vie, le plus possible. Sentir que j’ai des choses à donner, et que je peux le faire. 

Christelle