J’ai été violée par un ami de mes parents lorsque j’avais 10 ans. Il paraît qu’à cette époque je l’ai signalé à ma famille. Ce qui est fou c’est que je n’en ai aucun souvenir. J’ai grandi en sachant cela mais sans jamais en avoir aucune image. Par contre j’ai eu beaucoup de troubles en étant adolescente tels que des problèmes alimentaires. Je buvais beaucoup aussi dans les soirées avec mes amis. J’en avais besoin pour affronter les autres. Cela fait 19 ans que je me dis que je suis folle d’avoir pu oublier quelque chose d’aussi énorme ! Des membres de ma famille, comme mon père ou mon frère me disent sans arrêt « mais souviens toi Manon, tu le fais exprès ou quoi ? ». J’ai passé des années à regarder des photos pour tenter de me souvenir mais en vain.
J’ai quand même réussi à combler cette case vide par une vie plutôt correcte. Je travaille, j’ai une petite amie que j’aime. D’ailleurs avant elle j’étais avec un homme mais je n’ai jamais réussi à me sentir bien. J’étais toujours sur mes gardes. Là encore je m’en voulais de mes réactions par rapport à lui car il est très gentil. Il a été très important pour moi de savoir ce qu’était l’amnésie traumatique car cela m’a permis d’accepter plus sereinement le fait de n’avoir aucun souvenir. Je me suis trouvée moins folle. J’ai aussi accepté mes problèmes avec les hommes et donc mon homosexualité, ou bisexualité je ne saurais dire.
Mes parents commencent à comprendre qu’il ne sert à rien de me poser des questions sans arrêt. Je crois qu’eux aussi me trouvent plus normale. Par contre j’ai arrêté d’essayer d’expliquer aux gens que je ne me souviens pas d’un viol, la plupart ne comprennent pas. Je ne suis toujours pas prête à porter plainte car mes parents ne l’ont pas fait à l’époque car je suppose que ça aurait fait tache dans le village où j’habitais. Mais pour une deuxième agression cette fois j’ai eu le courage d’aller voir la police.
J’entends souvent des personnes dire que les agressions sexuelles sont graves mais je les entends aussi dire que certaines femmes auraient pu éviter ça. Que se promener tard le soir en jupe c’est provoquer et qu’elle ne peuvent s’en prendre qu’à elles. J’ai été agressée dans le métro vers 22 heures en rentrant du travail. Quand j’ai raconté les faits aux policiers, un d’eux m’a demandé « mais pourquoi vous portiez une jupe à cette heure ? ». C’était peut être rien mais ça m’a profondément blessée. J’ai passé plus de 8 ans à croire que si je n’avais pas mis cette jupe rien ne serait arrivé, plus de 8 ans à me sentir coupable.
Je commence à me dire que dans les deux cas je n’y étais pour rien. J’essaye de ne plus en vouloir à ma mémoire pour les parties manquantes de ma vie. Peut-être un jour que tout reviendra…ou pas mais je vais devoir faire avec. J’ai commencé une thérapie et cela m’aide beaucoup car j’ai eu la chance au bout de presque 18 ans de trouver une personne compétente qui sait m’écouter.
Manon