Début juin, une amie a rempli pour moi le formulaire de Co-abuse.fr et ça a matché hier. Une victime de ce même prêtre m’a appelée. A l’époque elle avait 22 ans, le même âge que moi. L’agression s’est produite au même endroit. Quand je lui ai dit le nom, elle a pleuré pendant un quart d’heure. Aujourd’hui elle est en arrêt de travail.

Il y a un mois elle a écrit au monastère où vit désormais ce prêtre pour dénoncer les faits d’agression sexuelle dont elle avait été victime. Le monastère lui a répondu par une lettre de pardon. Nous allons rédiger ensemble un courrier au procureur de la République pour détailler les faits dont nous avons été victimes. En faisant des recherches sur internet, j’ai découvert que notre agresseur avait en outre fait l’objet d’un procès canonique. Jugé pour des « gestes déplacés » selon le libellé du procès, en fait des agressions sexuelles, il a été interdit de confession. Aujourd’hui âgé de 85 ans, il exerce toujours son office.

En 1988, je vivais dans une célèbre communauté religieuse. J’avais alors des ressentiments par rapport au viol dont j’avais été victime à 14 ans et avais besoin d‘en parler. J’ai alors été voir ce prêtre qui était beaucoup plus âgé que moi. Il était célèbre à l’époque pour avoir écrit plusieurs ouvrages où il affirmait détenir un pouvoir de guérison. Nombreuses étaient les personnes qui allaient le voir. En quelques minutes, Il s’est jeté sur moi après que je lui ai raconté mon histoire. Il m’a pris les seins puis est descendu plus bas en me disant qu‘il fallait qu‘il pose ses mains « là où le pêché était entré» très vite, il m’a dit que j’étais guérie. Il m’a aussi dit de n’en parler à personne. Je suis sortie de là effondrée. Évidemment je n’ai rien dit. J’avais peur qu’on me rejette que je sois expulsée de la communauté.

En avril dernier, je regardais un documentaire sur la pédocriminalité dans l’Église, quand l’agression de ce prêtre est remontée d’un coup. C’était une belle amnésie traumatique d’une trentaine d’années. L’agression sexuelle est remontée avec toutes les sensations. Je me suis sentie très mal, très angoissée, très malheureuse, sidérée. J’ai revu la tête de cet homme en étant incapable de réagir et de bouger. J’ai alors tout révélé sur Facebook. Le président de la Parole libérée François Devaux m’a ensuite recommandé de me mettre en lien avec le Parisien. Le fait d’avoir retrouvé une autre victime, cela n’aura pas le même poids. On est deux désormais.

Tout ce parcours me permet de mieux comprendre comment j’ai fonctionné dans ma vie. Je n’ai pas arrêté de bouger, de fuir, à l’étranger notamment. Incapable de rester en place. Ce sont des problèmes physiques qui m’ont obligée à le faire et permis de recouvrer ainsi la mémoire.

C’est terrible la prescription. La reconnaissance de l’amnésie traumatique par la loi serait un cadeau. C’est dur de révéler tout cela, car l’Église c’est comme ma famille que je risque de perdre. Vivre une bonne partie de sa vie avec une amnésie traumatique donne l’impression d’être constamment en décalage dans sa tête avec une impression de malaise ou des ressentis physiques désagréables par intermittence.

Je suis persuadée que je suis passée à côté de ma vie en raison de l‘amnésie traumatique. Les années où j’aurais pu construire une vie intime, j’étais dans un monastère ou à bosser comme une dingue. Qu’est-ce que je fais maintenant? J’ai 50 ans. Le préjudice, il est là, il est réel. Trente ans ce n’est pas rien comme préjudice. Aujourd’hui, c’est peut-être le premier jour du reste de ma vie.

Oui, mais de quelle vie? Une vie à reconstruire avec les bons repères et les bonnes personnes. C’est toute une reconstruction. Physiquement aujourd’hui, je suis très amoindrie. Je suis allée au bout du bout. Je ne peux plus travailler. J’ai des séquelles à vie. J’attends que la justice bouge et ne se contente pas d’écrire des courriers pour demander pardon. Je veux qu’on reconnaisse qu’on a été victime et qu’il a été prédateur. Il ne faudrait pas qu’il meure avant que j’aie fini de le poursuivre.

L’amnésie traumatique c’est comme une montagne. C’est mieux de savoir, car cela me permet d’arrêter de faire n’importe quoi en me perdant dans des relations toxiques. J’ai médiatisé l’agression sexuelle du prêtre, car c’est la seule solution qu’il reste aux personnes quand il y a prescription. Il faut inscrire l’amnésie traumatique dans la loi pour ouvrir aux victimes l’accès à la justice. Ça suffit avec la double ou triple peine.

Depuis le viol de mes 14 ans, j‘ai fait le choix de la solitude. J’ai été violée et laissée pour morte par un inconnu dans la rue le soir. Mon agresseur a été condamné uniquement pour “coups et blessures” à six mois de prison avec sursis. L’affaire était entendue, les hommes étaient forcément un danger. Les seuls à qui je faisais confiance c’était les prêtres. Mal m’en a pris.

Je suis tombée malade quelques semaines après ce viol. J’ai déménagé et j’ai totalement occulté les faits. Les souvenirs sont remontés quand j’avais une trentaine d’années et je suis tombée dans une profonde dépression.

Aujourd’hui, j’attends de voir. C’est comme si j’avais une deuxième vie qui s’offrait à moi après 50 ans. J‘attends de pouvoir rencontrer des personnes de confiance.

Caroline