En 1993, il y a de cela 27 ans, quelques mois après le décès de mon père, j’ai commencé une thérapie car j’étais sous anxiolytique, et que je ne pouvais plus m’en passer. En prise depuis longtemps avec des angoisses intenses, des crises de panique et la peur des hommes, incapable de construire et d’avoir une réelle relation avec eux…

Sur les conseils d’une amie rencontrée lors d’un stage qui sait que je prends des médicaments plus que de raison… je commencerais dès mon retour de ce stage de plusieurs mois, la lecture du livre «le chemin le moins fréquenté » livre qui parle du long travail de thérapie dans une démarche également spirituelle. 

Pas longtemps après, également conseillée et orientée par un médecin généraliste à qui je demande de renouveler mon ordonnance, il me donne les coordonnées d’une personne. Je découvrirais en fait que c’est un psychiatre. Après un temps de réflexion, je décide de prendre contact avec lui, afin de commencer une thérapie, car je veux comprendre pourquoi je n’arrive pas vraiment à avoir de relation affective avec les hommes, mais surtout, afin d’arrêter de prendre des anxiolytiques. Cela devenait insupportable et invivable, cette accoutumance médicamenteuse et ces très nombreux symptômes liés en fait à de très nombreux traumatismes, je le comprendrais par la suite.

Je commencerais à lire dans l’attente du premier rendez-vous avec le psy, des ouvrages sur les thérapies. Depuis longtemps, en recherche d’un mieux-être et d’interrogation personnelle constante, je commencerais aussi le livre de Marie Cardinal « Les mots pour le dire ». Un livre qui est pour moi précieux, car il parle vraiment de toutes les étapes d’une thérapie avec une grande précision, et de toutes les résistances qu’elle arrivera à dépasser et à vaincre pour se reconstruire.

– J’ai dont commencé une thérapie, en ayant posé au préalable des questions au psy, notamment de savoir si, il avait lui mème fait un travail sur lui, c’était essentiel…

Petit à petit, donc, et au fil de la thérapie, dans ce travail de recherche et au fil de mon histoire, je retrouvais le sens de mes mots et de plus en plus la clarté de mon esprit…progressivement, les souvenirs ont commencé à remonter à la surface. Je croyais que je devenais folle tellement c’était difficile…J’ai dû pourtant, et progressivement apprivoiser tous mes souvenirs qui revenaient par flash-back, mais aussi me fortifier… Au fur et à mesure, et plus profondément je descendais dans ma mémoire, je commençais à ressentir les prémices de la terreur…le coté immergé de l’iceberg était terrible, mais cette partie était mon inconscient, toute cette partie refoulée, qui ne demandait qu’à refaire surface. Entre chaque séance, les souvenirs revenaient, progressivement mais aussi de plus en plus fort. Jusqu’à ce soir-là, où j’ai revécu dans son intégralité émotionnelle le premier viol, comme si toutes ces années qui m’en séparaient n’existaient pas, et que cela se passait vraiment dans l’instant présent.
Ma vérité, la vérité et tous ces symptômes que j’essayais d’enfouir avec tous ces médicaments depuis de nombreuses années, tellement mes peurs, ma souffrance et mes angoisses étaient immenses, me revenait.

 Au fil de la thérapie, j’ai pu arrêter de prendre des médicaments, et commencer à vivre un peu plus normalement. Notamment, j’ai pu quitter le domicile dit familial en prenant mon premier appartement, car je vivais encore avec ma génitrice de mère et la relation était depuis toujours difficile, très conflictuelle. Ce fut un très grand soulagement d’arriver enfin à faire cette démarche. Cela avait été très difficile de partir de chez elle.

Je reprenais, grâce à la thérapie, confiance en moi. J’étais enfin entendue, je pouvais enfin exprimer ma souffrance. Pourtant, j’ai arrêté la thérapie en cours de route, et cela au bout de deux ans et demi. Bien trop difficile de replonger et de devoir affronter tous ces souvenirs avec les émotions qui vont avec. Je n’étais pas encore tout à fait prête, ou pas encore assez malade…je le comprendrais par la suite.  Le petit équilibre que j’avais acquis me suffisait.
J’ai pu entre-temps, rencontrer un jeune homme et vivre une très jolie histoire d’amitié et d’amour. Je pouvais enfin y arriver ! J’emménagerais par la suite avec lui.

Pourtant, de nombreuses années plus tard en 2008, donc 3 ans après le décès de mon ami, j’ai dû reprendre la thérapie. Il y a maintenant 12 ans avec le même thérapeute, car tout me revenait en pleine face.  Burn-out puis, Stress post-traumatique réactivé puissance mille… Terrible ! Je revivais tout. Toutes mes peurs, mes terreurs d’enfant revenaient…
J’ai dû affronter à nouveau tous ces souvenirs et ces émotions qui s’y relient, avec l’écoute, l’engagement et le soutien infaillible de mon thérapeute. J’ai eu cette chance d’être avec un thérapeute sérieux dans ce travail d’équipe. 

– Les premiers attouchements et agressions sexuelles ont commencé vers mes 3 ans, le premier viol vers mes 4 ans. Je me rappelle de deux viols, bien que le deuxième reste encore un peu imprécis. S’ensuivra une tentative… Quand j’ai parlé à ma mère à cette période (des attouchements), elle m’a traité de menteuse. J’en ai parlé également pas longtemps après à une autre personne. Quand mon géniteur l’a su, sa réaction fut très violente. Je n’en ai plus jamais reparlé par la suite.

J’ai 52 ans, et depuis mes 26 ans, ma mémoire est sans ombre (levée d’amnésie) bien que certains souvenirs durant cette première partie ne soient pas très précis. Tout est revenu à la surface avec beaucoup plus de précision dans la deuxième partie de ma thérapie, dans la compréhension, l’intégration, voire l’acceptation.

– J’étais si petite quand ça m’est arrivé que je n’avais pas les mots. Je ne savais même pas ce que mon géniteur de père m’avait vraiment fait. Comment mettre le mot viol quand on est un enfant. Impossible de savoir ce mot. Sous la violence du choc, et n’ayant eu aucune prise en charge au moment du viol, n’ayant pu verbaliser, et sans que personne n’ait pu le faire pour moi à cette période, tout a été enfoui, refoulé au plus profond de ma mémoire : Amnésie traumatique.

Il m’a fallu de très nombreuses années de thérapie pour pouvoir enfin comprendre, assimiler, et mettre des mots sur les abus. Dire le mot…viol, (en 2015). Avec la thérapie qui s’est fait en deux parties. Mais aussi désamorcer toutes les émotions reliées à ces traumas. J’allais tellement mal à cette période, dans la deuxième partie de reprise de ma thérapie, que mon objectif principal était de retrouver ma santé. Je m’y suis acharnée avec volonté et ténacité bien que cela n’ait pas été facile, j’ai alterné avec de nombreuses rechutes, mais progressivement je suis sortie de la maladie bien que ce combat fût long. S’en suivra une longue convalescence pour ensuite, et au fur et à mesure, me consolider. Cela se compte en années, entre chaque étape.

C’est un travail sur soi de longue haleine, qui demande énormément d’énergie. Très peu de personnes le comprennent.

La parole fut essentielle pour que je me reconstruise, j’ai dû affronter toutes mes peurs, couper par la suite certains liens toxiques afin de me donner ce droit d’être qui je suis. Cela a été nécessaire pour ma reconstruction bien que pas toujours évident.
La colère, quand elle a commencé à se faire sentir, mème si ça fait peur, fut un des premiers signe que ma santé revenait. La colère est une belle énergie de vie, mais j’ai dû apprendre à la canaliser par la suite, à mieux la gérer, pour ne pas en être submergée. C’est un travail qui se fait par étape, par palier, un travail de longue haleine.

L’inceste est un crime qui tue en silence. L’emprise et le dysfonctionnement familial un abus de pouvoir puissant pour un enfant, mais aussi pour l’adulte qu’il est devenu.
Le silence qui entoure l’inceste contribue à bâillonner l’enfant, à le faire taire. Cela est difficile de faire entendre sa vérité. Très peu dans la sphère familiale sont prêts à vouloir entendre cette vérité. Autant dire personne…

Quand j’ai essayé d’en reparler à ma génitrice de mère dans cette deuxième partie, elle m’a dit cette fois…que j’inventais, que c’était dans ma tête.

Cela fut très violent pour moi. Pendant environ trois ans, j’ai fait de l’anorexie, sans vraiment nommer, car je ne voulais pas m’enfermer dans une case. Ça ne passait pas…j’ai lutté faisant en sorte de manger durant cette période que des aliments qui me faisaient plaisir et grossir. Je ne voulais pas perdre trop de poids…Dans des instants d’accalmie, où je ressentais la faim, j’arrivais à manger.   
C’est à ce moment-là que j’ai coupé définitivement tout lien avec elle. Tout contact. Ça ne passait pas…

– Une personne de mon enfance se souvient pourtant du sang ce jour-là, et la venue du pédiatre qui n’a rien fait pour dénoncer le crime.

Le tabou est puissant. Le tabou est silence envers l’enfant que je fus. Mais aussi envers l’adulte que je suis devenue. Ma parole est là pour briser ce tabou en respect à l’enfant que je fus, je le lui dois. Mais aussi pour dire que nous pouvons nous reconstruire, même si cela n’est pas toujours évident.   il y a certaine chose malgré tout qui reste quelque peu impacté… 
Je pose ma pierre à cet édifice pour que la parole se libère de plus en plus, et que le monde sache les dégâts, et l’impact que cela a sur nos vies.

J’ai été victime d’inceste. Il faut beaucoup de temps pour avoir la force de dire et d’affronter son histoire, mais cela est nécessaire pour se reconstruire.
Je porte ma vérité, et personne ne pourra nier ce chemin parcouru pour rassembler le puzzle de ma mémoire et de mon identité retrouvée. La vérité sera toujours que la vérité.

– Je n’éprouve aujourd’hui pratiquement plus trop de colère. J’arrive à être un peu plus sereine.

Merci de m’avoir lue.

Corinne B