Je voudrais commencer mon témoignage en remerciant une personne qui a témoigné sur le site sous le nom de « Lily ». Je souhaite la remercier car c’est la première fois que je lisais un témoignage qui ressemblait beaucoup à ma situation. Des questionnements sur quelque chose qui me serait arrivé, car beaucoup de symptômes allaient vers cela, mais aucun souvenir qui me revenait. Les questions, les doutes, avant les souvenirs. Merci beaucoup pour ce témoignage qui m’a fait me sentir moins seule. Comme d’autres témoignages où je me reconnaissais. C’est pour cela que je témoigne aujourd’hui. Un peu pour moi, pour me libérer, mais bien plus pour aider peut-être ne serait-ce qu’une seule personne…

J’écris alors que je devrais dormir, je suis épuisée, mais l’angoisse est plus forte que tout la nuit et m’endormir est bien difficile depuis des années. Aujourd’hui je me souviens. C’est étrange car c’est aussi douloureux que libérateur pour moi. J’avais besoin de cette dernière pièce du puzzle pour vraiment entamer ma reconstruction. 

Aujourd’hui j’ai 31 ans et énormément d’années de souffrance derrière moi.

J’ai été violée (que ce mot est dur à écrire, car il sonne si réel et j’ai encore du mal à réaliser car le début de ma sortie d’amnésie ne remonte qu’à plusieurs mois) par mon grand-père maternel de mes 4/5 ans à mes 7/8 ans approximativement, à plusieurs reprises. Il m’a aussi menacée de mort et étranglée. Les scènes dont je me souviens sont très violentes, je ne les décrirais pas au-delà de cela. Puis j’ai subi une agression sexuelle, peut-être un viol (c’est encore flou), d’un animateur quand j’étais partie en classe verte en CE1.

Mon corps se souvenait, mais pas ma tête. J’ai dû attendre d’avoir 30 ans quand soudainement j’ai commencé à me souvenir. J’ai surtout été envahie d’une immense angoisse telle que j’ai dû appeler mes parents qui vivent dans la même ville que moi pour qu’ils viennent me chercher en pleine nuit. Cette nuit là j’étais une petite fille qui avait besoin d’être protégée. Je n’ai pas pu dormir seule cette nuit là. Ma mère a dormi avec moi. Je me suis endormie en pleurant. Depuis je dors avec une veilleuse. Pour l’instant je ne suis pas rentrée chez moi. Puis petit à petit avec l’aide de ma thérapeute qui me suivait déjà avant, mes souvenirs sont revenus. Parfois partiellement, mais il est clair que les faits sont là.

Il faut savoir qu’à partir de mes 17 ans quand tout ce que j’essayais de maintenir tant bien que mal s’est effondré, j’ai été suivi au niveau psychiatrique. Et c’est lors de ma première hospitalisation que je me suis posée la question de savoir si je n’avais pas vécu des violences sexuelles à cause de certaines manifestations comportementales que je ne souhaite pas détailler, et que je préférais ignorer à l’époque, mais je me disais que l’on ne pouvait pas oublier ce genre de chose. Et je me suis trouvée complètement démunie, pensant que l’on me prendrait pour une folle si j’en parlais, ne croyant pas cela possible, tout en ayant quelque chose au fond de moi qui se questionnait… J’ai cherché sur internet sans rien trouver.

J’ai donc longtemps erré et j’erre encore aujourd’hui. Dès mes 8/9 ans j’ai développé petit à petit des tocs, et un surinvestissement scolaire. J’ai tenu le plus longtemps comme ça, c’était mon « mode survie », « pilote automatique ». Il fallait tenir coûte que coûte. A l’âge de 17 ans tout a dégringolé, d’un seul coup aux vacances de Noël, je me suis effondrée de fatigue, j’ai complètement craqué, et je ne suis pas retournée en cours à la rentrée. Mes tentatives suivantes de re-scolarisation ne fonctionneront pas… Moi qui étais une bonne élève. Je suis tombée en dépression, j’étais épuisée, je ne faisais que pleurer et dormir et aussi des crises d’hyperphagie. Au total si on fait le bilan, j’ai cumulé tocs résistants, hyperphagie, dépression résistante, autodestruction, tentatives de suicide, trouble anxieux généralisé, troubles du sommeil, phobie sociale, trouble borderline, trouble de stress post traumatique et trauma complexe… Cela fait 15 ans que je combats pour me reconstruire. Ma vie est un vaste chantier où je tente de reprendre pied avec difficultés. Mais depuis que je me souviens je me sens plus forte.

Malheureusement mon agresseur, mon « grand-père », ou plutôt cette sale ordure est décédé et je ne pourrai pas porter plainte contre lui, alors que c’était ce que j’aurais souhaité faire.

Je voudrais dire le retentissement que ces faits ont eu sur ma vie. L’enfant que j’étais a été brisée et la vie qui m’attendait bouleversée. L’ordure qui était mon grand-père et que je ne considère plus comme tel aujourd’hui est décédé paisiblement, alors que moi j’ai pris perpétuité… C’est pour cela qu’il ne devrait pas y avoir de prescription pour ce type de faits, car l’amnésie traumatique peut être très longue, et que la victime qui s’en sortira plus ou moins bien, prendra quand même perpétuité. Aujourd’hui je n’ai pas fait d’études, moi l’élève si studieuse, je ne suis pas en capacité de travailler, j’ai une reconnaissance de handicap, j’ai très peu de vie sociale (pour ne pas dire aucune), je n’arrive pas à vivre seule en autonomie, même si j’essaie, je n’ai plus de vie sentimentale (je me suis plus mise en danger qu’autre chose dans ce domaine là, et aujourd’hui je fais le choix d’être seule le temps qu’il faudra pour aller vraiment mieux), je suis obèse à cause de mes troubles alimentaires, je n’arrive plus à faire des choses comme lire car je n’arrive pas à me concentrer là-dessus, alors que j’adorais cela, je n’arrive plus non plus à pratiquer ma passion… Je n’ai aucune estime de moi-même, je me sens mal dans le contact avec les autres. J’ai énormément besoin d’être aidée et accompagnée au quotidien. Cela a aussi eu un énorme impact sur ma famille proche (parents, soeur, frère), ce qui est très culpabilisant. Je déteste être un poids pour eux.

Je voudrais dire aux victimes de violences sexuelles et d’amnésie traumatique, que vous êtes des guerrières/guerriers, et qu’il faut continuer de se battre. Même si c’est dur. Je voudrais dire à celles/ceux qui ne se souviennent pas ou peu, que non vous n’inventez pas, vous n’êtes pas folles/fous. On n’invente pas quelque chose comme cela. Je voudrais dire que même si là je devrais dormir et que je n’y arrive pas, je sens que je commence à vraiment avancer concrètement, alors il faut garder espoir, même si je sais que c’est dur. Il faut aussi bien sûr pleurer et crier quand on en a besoin. On a le droit d’être mal. Mais je crois qu’au bout du tunnel, il y a toujours cette petite lumière qu’il ne faut pas perdre de vue. Courage. Prenez soin de vous. Vous n’êtes pas seul(e)s. Surtout. Vous n’êtes pas seul(e)s.

June